La meilleure intrigue du jeu vidéo

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Sommaire

Introduction

Il est en réalité réducteur de citer « LE » jeu-vidéo. En effet, si toutes les œuvres vidéoludiques ont en commun l’élément de gameplay comme unité fondamentale, peut-on seulement comparer entre eux un Hack N’Slash et un Point & Click ; un MOBA et un jeu de survie ; un FPS et un jeu de stratégie ? Chacun dispose de caractéristiques intrinsèques dont l’écho sera différent pour chaque joueur, et qui parleront ou non à l’âme du gamer qui est en vous.

Certains pensent que le jeu-vidéo est dépourvu de toute finesse scénaristique. Pourtant, il y a un genre en particulier pour lequel la qualité de l’écriture est fondamentale – le RPG – et, justement, il s’agit de mon genre préféré. 

Si je vous parle du jeu-vidéo le mieux écrit de tous les temps – tant pour sa trame narrative que pour ses personnages -, il est plus que probable que l’on me cite les noms de triples A des années 2010, tels que Mass Effect, The Witcher 3 Wild Hunt, Baldur’s Gate 3, The Last of Us, …

Il y a plusieurs raisons à cela. D’une part, la récence des jeux et leur importance commerciale les amène à être plus frais dans l’esprit des joueur aguerris ; ou simplement les seuls présents chez les plus novices. D’autre part, il est communément admis (sic) que la qualité de l’écriture des jeux plus anciens laisse souvent à désirer. 

Le jeu dont je vais vous parler aujourd’hui a continué de voir ses personnages me hanter pendant des mois.

Le jeu dont je vais vous parler aujourd’hui a contribué à ma construction en tant que personne.

Le jeu dont je vais vous parler aujourd’hui n’est pas seulement un jeu… c’est une aventure humaine d’une durée de 30 heures.

Et pourtant… le jeu dont je vais vous parler aujourd’hui date de… 2003. 

Important avant d'aller plus loin

Cet article s’adresse à vous si :

  • Vous avez déjà joué à KOTOR et souhaitez remémorer des souvenirs, lire un autre avis sur le jeu ou en analyser le contenu.
  • Vous ne souhaitez pas jouer à KOTOR mais voulez quand même connaître son intrigue.

Par contre, si vous n’avez jamais joué à KOTOR et souhaitez ou peut-être souhaitez y jouer un jour, alors vous n’êtes pas le public cible de cet article. Je vous encourage plutôt à vous procurer le jeu (disponible à l’heure actuelle à 5 euros sur Steam – je vous conseille très vivement la VO) avant de lire cet article qui va SPOILER.

Maintenant que ce préambule nécessaire est posé… entrons dans le vif du sujet : l’intrigue de KOTOR.

Il s’agit d’un jeu à licence STAR WARS développé par BIOWARE (les mêmes qui développeront quelques années plus tard les MASS EFFECT, comme quoi ils sont toujours une valeur sûre). D’une manière générale, l’univers de STAR WARS me laisse totalement indifférent, pour des raisons que j’évoquerai plus loin. Ce jeu m’a malgré tout totalement conquis.

A mon sens, le scénario du jeu est construit en 3 couches : l’intrigue principale ; l’intrigue secondaire et enfin une intrigue tertiaire pour chaque planète visitée par le joueur. Je n’évoquerai pas les intrigues tertiaires afin de ne pas tirer cet article trop en longueur- bien qu’elles amènent des éléments analyses supplémentaires. Je me focaliserai donc sur les personnages et l’intrigue principale, qui de mon point de vue est construite en trois actes. Après un résumé du jeu, je terminerai par une analyse et l’intrigue secondaire.

Acte 1 : La fuite de Taris

Les évènements se déroulent plusieurs centaines d’années avant ceux des films. Le joueur est un soldat de la République Galactique affecté au vaisseau du Jedi Bastila Shan, l’Endar Spire. Au début du jeu, le joueur - après une création sur mesure du personnage - est tiré de son sommeil car le vaisseau est attaqué et abordé par les Sith.

L’Endar Spire fait office de tutoriel. Le joueur est accompagné de son voisin de chambrée Trask et doit forcer son passage jusqu’aux capsules de sauvetage afin de rejoindre la planète voisine de Taris. Trask se sacrifie afin de permettre au joueur de s’échapper.

Le joueur se réveille ensuite dans un appartement abandonné, en compagnie de Carth Onasi ; le capitaine de l’Endar Spire qui a lui aussi réussi à s’enfuir. Il apprend qu’il s’est évanoui à cause de l’impact de la capsule de sauvetage ; et qu’il doit la vie à Carth qui l’a emmené et caché dans un appartement abandonné. Carth explique plusieurs éléments importants :

  • La République Galactique est sur le point d’être anéantie par les Sith, qui dominent totalement la guerre.
  • Taris vient d’être conquise par l’Empire Sith qui y a établi un blocus Militaire. Il est a priori impossible de s’en échapper.
  • Bastila Shan, l’apprentie Jedi qui commandait l’Endar Spire, a également réussi à s’échapper mais a disparu. Les Sith ont fait de sa traque et capture sur Taris leur priorité.
  • Bastila Shan semble être le dernier espoir de la République. En effet, elle est la seule à maîtriser un puissant pouvoir lié à la force nommé « La Méditation de combat » permettant d’ôter aux ennemis toute envie de se battre. De plus, c’est elle qui a tué l’ancien seigneur des Sith Darth Revan.
  • Revan vaincu, c’est désormais son ancien apprenti Darth Malak qui dirige les Sith.
  • Bastila Shan a insisté pour que le joueur soit présent sur l’Endar Spire.

Le premier objectif fixé au joueur est donc de retrouver Bastila Shan avant les Sith. Pour ce faire, il est accompagné de Carth et devra converser avec les habitants de Taris afin de découvrir des pistes.

Carth est le premier des 9 compagnons à rejoindre l’équipe du joueur. Chacun dispose d’une personnalité que le joueur apprendra à connaître progressivement, et d’une histoire personnelle en marge de la quête principale. Carth dispose d’une personnalité très méfiante et se montre réticent à converser et à accorder sa confiance au joueur.

Assez rapidement le joueur est confronté aux premiers choix moraux dans le cadre de dialogues avec des personnages non joueurs. La nature de ces premières options de dialogue est évidente mais plus loin dans le jeu il sera parfois moins aisé de distinguer le choix vertueux du choix vil. Le joueur est récompensé par des points d’alignement envers le côté lumineux ou le côté obscur selon ses choix. La fiche de personnage rend compte d’un alignement global qui résume donc la manière dont le joueur s’est comporté tout au long du jeu.

Le joueur apprend que Bastila s’est écrasée dans la ville basse de Taris, en proie à une guerre des gangs entre les Beks cachés et les Vulkars noirs. Le chef des Beks l’informe que Bastila a été trouvée par les Vulkars noirs, ces derniers comptant l’offrir en tant qu’esclave au vainqueur de la course annuelle de fonceurs. Le joueur conclut un accord avec les Beks : il récupère un prototype d’accélérateur de fonceur volé par les Vulkars, ce qui doit permettre de remporter la course. En échange, les Beks permettront au joueur de concourir sous leur bannière ; afin d’espérer remporter Bastila en récompense.

Afin de pouvoir s’infiltrer dans la base des Vulkars, le joueur s’associe à Mission Vao ; une adolescente Twi’lek ayant grandi dans la rue et qui souhaite prouver son indépendance. Elle est accompagnée de son ami Zaalbar, un Wookie que le joueur commence par délivrer de ravisseurs. Zaalbar prononce alors un serment d’allégeance éternelle envers le joueur. Ils deviennent deux compagnons supplémentaires dans l’équipe. Après de nombreuses péripéties, le joueur et ses compagnons mettent la main sur le prototype d’accélérateur puis sur Bastila Shan, qui devient le 5e membre du groupe.

Dans son sommeil, le joueur voit en rêve des images de Bastila affrontant et mettant à terre Revan. Bastila a partagé un rêve identique, explique qu’il s’agit de visions émanant de la force ellemême, que la force est puissante au sein du joueur et qu’il sera nécessaire d’en parler au conseil Jedi. Mais, avant toute chose, il faut trouver un moyen de s’échapper de Taris qui est toujours en situation de blocus militaire.

L’équipe est invitée à la cantina par Canderous Ordo (dont elle avait déjà pu faire brièvement la connaissance un peu plus tôt), un mercenaire mandalorien belliqueux et cruel. Ce dernier a été engagé par l’Echange, le syndicat du crime sur Taris. Cependant, Canderous souhaite aujourd’hui en priorité quitter la planète. Canderous propose un marché au joueur : il s’occupe de dérober un vaisseau spatial à l’Echange. De son côté, le joueur et ses compagnons devront s’introduire dans la base Sith sur Taris afin de dérober les codes d’accès permettant aux vaisseaux de traverser le blocus militaire.

Canderous est le dernier compagnon à rejoindre le groupe sur Taris. Tous s’échappent finalement à bord de l’Ebon Hawk dérobé par Canderous, le vaisseau devenant alors pour le reste du jeu l’astronef personnel du joueur et de ses compagnons. Peu après la fuite, Malak – furieux de n’avoir toujours pas réussi à mettre la main sur Bastila – ordonne à sa flotte de bombarder Taris sans relâche jusqu’à ce qu’il ne reste plus aucune vie sur la ville-planète.

Acte 2 : A la recherche de la forge stellaire

Aux commandes de l’Ebon Hawk, le joueur se pose sur Dantooine où siège l’académie et le conseil Jedi. Accompagné de Bastila, il communique le contenu de ses visions au conseil. Les maîtres Jedi décident en conséquence de former le joueur à l’usage de la force – bien que d’ordinaire les Jedi n’acceptent que de jeunes enfants en tant qu’apprentis. A partir de ce point du jeu, le joueur cesse donc d’utiliser des armes à feu et vibro-lames au profit des sabres lasers.

L’apprentissage du joueur est excessivement rapide. Comme dernière épreuve d’initiation, il est chargé d’enquêter sur une perturbation de la force ressentie dans les fourrés autour de l’académie et affectant la faune locale, puis de corriger le problème. Le joueur découvre que la source du mal est Juhani, une padawan s’étant enfuie de l’académie après avoir sombré dans le côté obscur en tuant son maître Jedi, dans un accès de frustration et de colère. Le joueur affronte et vainc Juhani en combat singulier. De là, le joueur doit

converser avec la padawan afin de la persuader de revenir vers la lumière. Se faisant, il termine son initiation et devient lui-même un padawan, tandis que Juhani intègre l’équipage. Le joueur peut aussi choisir de tuer Juhani au lieu de chercher à la raisonner– ce qui n’entrave en rien la progression de l’histoire – mais a pour conséquence la perte d’un compagnon pour la suite du jeu.

Le Conseil Jedi reconnaît dans les rêves partagés par le joueur et Bastila des ruines présentes sur Dantooine. Le joueur voit que Revan et Malak s’y sont rendus par le passé – lorsqu’ils étaient encore des Jedi. Le Conseil explique que Revan et Malak furent auparavant de grands chevaliers, quoiqu’impulsifs. Lorsqu’éclata la sanglante guerre Mandalorienne – Revan et Malak se sont rendus – en désobéissant à l’avis du Conseil des sages - dans la bordure extérieure de la galaxie afin de combattre les Mandaloriens et défendre la veuve et l’orphelin. Au fur et à mesure de leurs victoires, ils ont fédéré autour d’eux tous ceux qui voulurent résister aux Mandaloriens, au point de finir à la tête d’une imposante flotte. La guerre remportée, Revan et Malak poursuivirent avec leur armée les fuyards Mandaloriens au-delà des mondes connus. Lorsqu’ils revinrent, ils avaient changé et, devenus des seigneurs Sith , envoyèrent leur armée contre la République. Le Conseil pense que la force a chargé Bastila et le joueur d’une mission et leur demandent, tout comme le firent Revan et Malak par le passé, de se rendre dans les ruines dont leurs visions font l’objet.

A l’intérieur, Le joueur et ses compagnons découvrent des fragments de coordonnées, ainsi qu’un robot laissé par une civilisation avancée et aujourd’hui disparue. Ce dernier explique que les coordonnées, reconstituées, mènent à un système solaire au sein duquel les siens ont laissé une machine appelée la forge stellaire. Celle-ci permet de générer spontanément des vaisseaux spatiaux. Le Conseil Jedi estime que l’utilisation de la forge stellaire explique comment les Sith dominent la guerre et que la mission confiée par la force à Bastila et au joueur est de retrouver et détruire la machine. Pour ce faire, le joueur suivra différentes visions partagées avec Bastila et qui le conduiront sur des planètes où sont dissimulés des fragments de coordonnées. Avant de partir, le Conseil met en garde le joueur sur les dangers de l’attrait d’un côté obscur bien trop familier. Au total, 4 planètes seront à visiter pour obtenir la position du système de la forge stellaire :

  • Kashyyk, planète recouverte par une jungle d’arbres géants, et monde d’origine des wookies. La planète est fréquentée par des esclavagistes qui cherchent à asservir ces derniers.
  • Manaan, planète entièrement aquatique, habitée par les Selkath (poissons humanoïdes). Elle revêt une importance stratégique capitale car elle est la source du kolto, la substance massivement utlilisée en tant que premiers soins pour les blessés. Les Selkath vendent le kolto tant à la République qu’aux Sith et refusent de se rallier à un camp.
  • Tatooine, planète désertique et théâtre d’affrontements entre des colons mêlés à des archéologues d’une part, et d’autre part les tribus indigènes barbares des « hommes des sables ».
  • Korriban, planète vallonnée de larges canyons. Elle est contrôlée par l’empire Sith et est le siège de son académie, au sein de laquelle les Sith forment les personnes sensibles à la force au côté obscur et à la cruauté.

Au cours de ce voyage aux quatre coins de la galaxie, la recherche des fragments de coordonnées tient plus du McGuffin – l’intérêt principal étant alors les intrigues tertiaires internes aux planètes. Comme mentionné précédemment, je ne détaillerai pas ces dernières, néanmoins notons qu’elles touchent de nombreuses thématiques : l’esclavage, la ségrégation sociale, la justice, la vengeance, la colonisation, …Petite précision nonobstant, certaines lignes de dialogues et petites quêtes annexes varient en fonction de l’ordre dans lequel le joueur se rend sur les quatre planètes – ce qui ajoute de la rejouabilité à l’œuvre.

Malak poursuit le joueur et son équipage tout au long de ce périple. Sur chaque planète, le joueur doit à intervalles réguliers affronter des Sith, assassins, chasseurs de primes, … envoyés par le Seigneur Noir.

L’intérêt de ce périple réside aussi dans le développement des storylines des compagnons du joueur, et sur lequel je m’attarderai en revanche. Le joueur est en permanence accompagné de deux membres de l’équipage de son choix et qui interagiront tant avec lui qu’avec les PNJ pendant l’aventure. Le joueur peut converser avec l’entièreté de l’équipage lorsqu’il se trouve à bord de l’Ebon Hawk.

  • Carth : Toujours très méfiant à l’égard de tous, le joueur gagne progressivement sa confiance jusqu’à ce que ce dernier révèle l’origine de sa méfiance. Au début de la guerre contre les Sith, Carth a été trahi par son mentor – l’amiral Saul Karath – ce qui a entraîné la mort de l’entièreté de sa famille sur leur planète natale. Saul est aujourd’hui le commandant de la flotte Sith de Malak. Carth conserve un désir de vengeance à l’égard de ce dernier – et le joueur peut soit lui recommander de taire ou au contraire d’exacerber ce sentiment. Plus tard dans l’aventure, Carth apprend que son fils a en réalité survécu à la destruction de son monde, mais a rejoint l’académie de Korriban afin de devenir un Sith. Lorsqu’il se trouve sur la planète, le joueur peut effectuer une quête secondaire afin de convaincre Carth junior de quitter les Sith.
  • Canderous : Canderous a combattu dans les rangs des Mandaloriens jusqu’à leur défaite et capitulation sans condition face à Revan. Depuis, il est devenu un mercenaire itinérant avant de rentrer au service de l’Echange sur Taris. Canderous n’est intéressé que par la guerre et le combat, qui sont pour les Mandaloriens source d’honneur. Il montre en revanche très peu de considération pour l’importance de la vie – tant de ses adversaires que de la sienne. Aussi, Canderous continue d’accompagner le joueur car le périple qu’il entreprend afin de retrouver la forge stellaire est source d’affrontements permanents.
  • Mission : Mission est née orpheline et fut élevée par son grand frère Griff. Ce dernier était un alcoolique, un parieur et un escroc. Afin d’échapper à son insolvabilité, Griff a fui avec sa sœur sur Taris, où ils s’installèrent dans la mal famée ville basse. Griff se mit à fréquenter une danceuse Twi’lek puis, à nouveau insolvable, quitta Taris avec sa petite amie et en laissant derrière lui sa sœur. Il promit à celle-ci qu’il reviendra riche, bien qu’il ne réapparu jamais. Mission resta convaincue de la grandeur d’âme de son frère, ce dernier étant manipulé par sa petite amie. Afin de survivre dans ce quartier inhospitalier, Mission s’associa à Zaalbar – lui aussi seul à son sort. Ce passé pousse Mission, bien qu’encore très jeune, à souligner son utilité et surexprimer son indépendance et ses opinions. Le joueur peut régulièrement soit l’encourager à s’affirmer, soit la remettre à sa place. Sur Dantooine, il retrouve l’ancienne petite amie de Griff. Celle-ci explique que Griff est un bon à rien, qu’elle l’a quitté et qu’il se trouve sur Tatooine. Par ailleurs, ce serait lui qui aurait insisté pour laisser Mission sur Taris. Lors du voyage sur Tatooine, le joueur retrouve Griff prisonnier des hommes des sables, et le délivre. Loin d’avoir changé, Griff continue de vivre de petites magouilles. Mission prend enfin conscience que son frère lui a menti, et qu’elle l’a idéalisé. D’abord furieuse, elle apprend finalement à l’accepter tel qu’il est vraiment.
  • Zaalbar : Zaalbar reste majoritairement silencieux tout au long de l’aventure, et ne parle jamais de son passé. Toutefois, une fois sur Kashyyk, le joueur entre dans le village des wookies, et par conséquent rencontre sa famille. Le joueur apprend que Zaalbar a été banni par sa tribu. En effet, il a attaqué son frère avec les griffes – ce qui est considéré par les Wookies comme un crime impardonnable. Zaalbar avait en effet appris que son frère travaille de pair avec les esclavagistes qui capturent les siens. Lorsqu’il défendit sa version des faits auprès de son père, le chef du village, ce dernier refusa de le croire et l’exila sur Taris – où il rencontra d’abord Mission puis le joueur. Lors de son aventure sur Kashyyk, le joueur parvient à démontrer la duplicité du frère de Zaalbar, et à laver son nom. Ce dernier choisit cependant d’honorer son serment et de poursuivre ensuite le périple aux côtés du joueur.
  • Juhani : Puisque le joueur l’a incitée à rejeter le côté obscur, Juhani le perçoit comme son repère moral et l’admire. Juhani est donc le personnage sur lequel le joueur, lorsqu’il converse avec elle, dispose de la plus grande influence de par ses choix. La famille de Juhani appartenait aux réfugiés de la guerre Mandalorienne. Un marchand d’esclaves, Xor, tua son père – et sa mère mourut ensuite de chagrin. Seule et endettée, Juhani fut réduite en esclavage par l’Echange, puis rachetée par Xor. Enfin, les Jedi libérèrent Juhani, et celle-ci partit pour Daantoine afin de suivre un entraînement à la force. Au spatioport de Manaan, le joueur et son équipe rencontrent Xor, qui leur propose d’acheter Juhani. Le joueur peut alors conseiller à Juhani de contrôler ses émotions, ou au contraire de libérer sa colère.
  • Bastila : Bastila est caractérisée par un très puissant désir de justice. Cependant, elle est aussi entêtée et peut se révéler orgueilleuse. Au cours de l’aventure, Bastila conseille le joueur sur le code et la philosophie des Jedi au sujet de la retenue des passions, qui mènent au côté obscur. Le joueur apprend que Bastila fut la fille d’un père chasseur de trésor. Sa mère poussait ce dernier à risquer sa vie à la recherche de reliques qui pourraient les rendre riches. De surcroit, c’est elle qui abandonna Bastila aux Jedi à Daantoine dès qu’elle fut en âge. Bastila nourrit donc de profonds ressentiments contre sa mère, qu’elle refoule en accord avec le code des Jedi. Sur Tatooine, le joueur retrouve la mère de Bastila. Il apprend alors que son père est mort à l’aventure, mais également que sa mère souffre d’une grave maladie qui lui sera bientôt létale. C’est pourquoi, de son vivant, son père n’avait d’autre choix que de rechercher de l’argent afin de financer les traitements adéquats. Le joueur peut apaiser Bastila et l’inciter à pardonner sa mère, ou au contraire la pousser à la quitter en mauvais termes. Par ailleurs, le joueur peut choisir, au travers des options de dialogues, de développer puis entretenir une romance avec Bastila. Si le joueur nourrit cette romance jusqu’au bout, il embrasse Bastila à l’arrière de l’Ebon Hawk. Cependant, celle-ci regrette ensuite son geste, expliquant que les passions y compris l’amour peuvent conduire au côté obscur, et rappelant que la priorité est d’arrêter Malak avant toute autre chose. 

Outre les compagnons rencontrés sur Taris, deux autres partenaires rejoignent plus tardivement l’équipage :

  • HK-47 : Lorsque le joueur arrive sur Tatooine, il est amené à négocier avec les hommes des sables. Cependant, il ne parle pas leur langue. Le joueur achète donc un droïde de combat, capable de converser avec les hommes des sables, et nommé HK47, dans un magasin de robotique local. HK-47 ne vit que pour tuer et y tire un grand plaisir. Il n’a pas été programmé pour comprendre les émotions humaines et souligne régulièrement sa frustration et son dégoût face aux épanchements sentimentaux du joueur et des autres membres de l’équipe, qu’il surnomme « meatbags » (sacs de viande). Lorsque le joueur récupère HK-47 sur Tatooine, la mémoire de ce dernier a été effacée. En augmentant ses compétences « réparation » et « informatique », le joueur est en mesure de réparer partiellement celle-ci. On apprend alors tout des précédents maîtres de HK-47, et de la façon dont ce dernier est responsable, d’une manière ou d’une autre, de leurs morts à tous. Toutefois, le cœur du système, et par conséquent l’identité du concepteur de HK-47, restent inaccessibles.
  • Jolee : Lorsqu’il se trouve sur Kashyyk, le joueur rencontre dans la jungle un ancien Jedi ayant quitté l’ordre, nommé Jolee Bindo, et ayant décidé de vivre seul, en ermite. Jolee se joint par la suite aux compagnons du joueur, sans motif clair. Jolee parle au joueur de manière énigmatique, et professe une forme de neutralité entre le côté lumineux et le côté obscur de la force. Il ne croit plus à la philosophie Jedi qui préconise de mettre toutes ses émotions de côté, car certaines d’entre elles, l’amour notamment, sont pour lui d’avantage positives que mauvaises : « L’amour n’est pas ce qui te condamnera… mais ce qui te sauvera ». Il pense qu’il vaut mieux apprendre à tempérer ses pensées, par exemple lorsque l’on est amoureux, plutôt qu’à refouler complètement le sentiment. Le joueur apprend que, lorsqu’il était encore dans l’ordre Jedi, Jolee était un membre entêté et désobéissant. Celui-ci épousa son amour, ce qui était interdit par l’ordre, et – découvrant qu’elle était sensible à la force – il décida de la former luimême, alors qu’il n’avait pas achevé sa formation. En conséquence, il ne put protéger son épouse de l’attrait du côté obscur et celle-ci finit par basculer. Après l’avoir vaincue en combat singulier, Jolee n’eut pas la force de la tuer. Elle eut donc l’occasion de prendre de nombreuses vies, dont celles de plusieurs amis Jedi de Jolee, avant d’être finalement arrêtée et tuée. C’est suite au traumatisme de cet épisode que Jolee perdit foi en le conseil Jedi et partit vivre reclus. Lorsque l’Ebon Hawk quitte la troisième planète pour se diriger vers la dernière à visiter, il est intercepté dans l’hyperespace par un autre vaisseau beaucoup plus grand, qui l’attire dans son enceinte à l’aide d’un rayon tracteur. Carth comprend qu’il s’agit du vaisseau amiral de la flotte Sith, « le Leviathan », et qu’il est piloté par son ancien mentor Saul Karath. L’équipe ayant conscience qu’ils sont sur le point d’être tous arrêtés puis emprisonnés à son bord, le joueur doit choisir un seul membre de l’équipage qui aura l’opportunité de se cacher pour libérer les autres.

Carth, Bastila et le personnage-joueur sont amenés dans la salle de torture de Saul en personne. Ce dernier révèle que Daantoine a connu le même sort que Taris. Il électrocute les trois membres de l’équipage, en s’acharnant particulièrement sur Bastila. Il quitte enfin la pièce pour informer Malak de la capture de l’équipage. 

Le joueur doit incarner le compagnon qu’il a choisi de dissimuler afin de libérer Carth, Bastila et son propre personnage ; puis reprend le contrôle de ce trio. Le joueur se fraie par la voie des armes un chemin à travers le Leviathan jusqu’au centre de commandement, où il défait Saul. Dans son dernier soupir, ce dernier révèle à Carth un grand secret. Carth entre alors dans une rage folle, et demande des comptes à Bastila pour « sa trahison ». Cependant, celle-ci rétorque que ce sujet sera abordé lorsqu’il se seront échappés car Malak arrive, et aucun membre de l’équipe ne fait le poids contre le Seigneur Noir des Sith. Le joueur tente alors de gagner l’Ebon Hawk… mais Malak arrive le premier.

Juste avant ce qu’il me semble être le début du troisième et dernier acte, se déroule alors le point d’orgue de l’intrigue de KOTOR. Il m’est apparu impossible de résumer ce dernier de manière aussi efficace et théâtrale que l’œuvre elle-même. Je vous propose donc de visionner la cinématique puis le dialogue directement extraits du jeu : https://www.youtube.com/watch?v=xc6eDFobJXg, et de nous retrouver ensuite pour l’acte troisième.

Acte 3 : le retour de Revan

L’équipage parvient donc à retrouver l’Ebon Hawk et à s’enfuir, mais Bastila a été capturée par Malak. Après ce qui s’apparente quasiment à une thérapie de groupe, les compagnons décident de maintenir leur confiance envers le joueur, malgré de fortes réticences de Carth. La rencontre avec Malak semble avoir réactivé la mémoire centrale de HK-47. Le joueur apprend donc que son concepteur est… Revan, soit lui-même, du temps où il était Seigneur Sith. Le vaisseau se rend sur la dernière planète, où de nombreux dialogues sont

modifiés après la révélation concernant l’identité du joueur. Les coordonnées enfin reconstituées, l’Ebon Hawk prend la direction du système de la forge stellaire.

Le vaisseau fait face à la machine, mais un champ disrupteur oblige l’Ebon Hawk à se poser en catastrophe sur la planète la plus proche.  

Sur cette planète inconnue, le joueur rencontre la race des Rakatas, des brutes belliqueuses se livrant à une guerre civile sans merci. Le chef du clan, appelé l’Unique, demande à Revan de l’aider à affronter la tribu opposée, les Anciens. Cependant, lorsqu’il rencontre ces derniers, le joueur s’aperçoit qu’ils sont bien plus pacifiques et civilisés que les membres de l’autre tribu, que les Anciens nomment les Rakatas noirs.

Les Anciens expliquent au joueur que les Rakatas descendent de la civilisation très avancée à l’origine de la forge stellaire, l’« empire infini ». D’ailleurs, la forge n’est pas seulement un générateur de vaisseaux spatiaux, elle est aussi l’émanation

même du côté obscur, qu’elle nourrit, renforce et répand. La forge ayant été à l’origine de la chute de l’empire infini, les ancêtres des Rakatas ont dissimulé la machine dans un système reculé, éparpillé les coordonnées y menant, et placé un champ disrupteur local empêchant tout vaisseau d’approcher la machine. La source du champ est un temple situé sur la planète et dont les Anciens sont désormais les gardiens.  

Les Anciens refusent de laisser entrer le joueur dans le temple, et ce même afin de détruire la forge, car Revan et Malak leur avaient formulé la même promesse des années auparavant mais ont en réalité détourné la forge pour leur propre intérêt. Après moult négociations, les Anciens finissent par y consentir, mais à condition que le joueur les aide d’abord à vaincre les Rakatas noir. Par ailleurs, seul le joueur sera autorisé à entrer, ses compagnons devant rester à l’extérieur.

Les Rakatas noirs défaits, le joueur s’apprête à entrer dans le temple. Toutefois, Jolee et Juhani surgissent, témoignent de visions de dangers imminents le concernant, et insistent pour entrer également. C’est donc ce trio qui pénètre dans le temple.

Les Sith avaient en effet pris le contrôle des lieux longtemps auparavant, et contrôlent de facto le champ. Le joueur doit affronter de nombreux soldats, apprentis et Jedi Noir de l’armée Sith. Au sommet du temple, face à la console contrôlant le champ, le joueur retrouve Bastila.

Malak, après avoir infligé à Bastila des semaines de tortures incessantes, et exploité ses vices profonds dont son orgueil, est parvenu à lui laver le cerveau et à la faire sombrer du côté obscur. Bastila est désormais l’apprentie personnelle de Darth Malak. Au cours d’un dialogue mémorable, elle indique toutefois qu’elle considère le joueur plus puissant que Malak, et qu’elle se ralliera à lui s’il décide de récupérer la place qui est la sienne sur le trône des Sith.

Le joueur doit à ce moment de l’histoire faire un choix décisif, qui mènera à l’une ou l’autre des deux fins possibles de KOTOR.

Fin du jeu

Fin du côté obscur

Le joueur choisit de revenir du côté obscur, avec Bastila comme apprentie à ses côtés. Après avoir désactivé le champ, il pose à tous ses compagnons comme ultimatum le fait de le rejoindre. Canderous et HK-47 acceptent car le côté obscur les sied autant que la lumière. Zaalbar accepte également car il est lié par un serment d’allégeance. En revanche, Mission, Jolee et Juhani refusent, et le joueur les tue tous les trois. Carth refuse également mais s’enfuit.

Le joueur utilise l’Ebon Hawk pour aborder la forge stellaire. Il affronte et triomphe d’une armée de serviteurs Sith, jusqu’à atteindre Malak. Il découvre alors que ce dernier a récupéré les dépouilles des padawan Jedi de Daantoine, et a détourné le pouvoir ténébreux de la forge stellaire afin de consumer la force habitant les padawan morts pour la transférer à sa propre personne. Cela lui confère une quasi-invincibilité.

Le combat final est donc un affrontement singulier inégal entre le joueur et son ancien apprenti Malak. Ce dernier est finalement vaincu, et le joueur/Revan peut enfin récupérer la place de Seigneur Noir qui lui fut usurpée. Bastila et lui transfèrent à la flotte de la République les coordonnées du système, mais leur tendent un piège. Elle utilise sa méditation de combat contre la République, et l’armée Sith anéantit intégralement la flotte républicaine.  

L’empire Sith a remporté la guerre, la galaxie plonge dans un âge sombre d’esclavage et de ténèbres, et Revan est maître suprême.

« Les Sith s’agenouillent devant vous, vous avez récupéré le trône qui vous revenait de droit. L’ordre Jedi est en lambeaux, et ce n’est qu’une question de temps avant que vos serviteurs Sith ne les éradiquent de la galaxie. »

Fin du côté lumineux

Le joueur refuse de rejoindre le côté obscur. Bastila sort donc les armes, mais est défaite par le trio. Elle s’enfuit alors afin de rejoindre son maître à bord de la forge stellaire. Après avoir désactivé le champ, l’équipage se réunit à bord de l’Ebon Hawk, et transfère les coordonnées du système à la flotte de la République.

Conscients que Bastila peut utiliser la méditation de combat contre la République, les commandants de la flotte et l’équipage conviennent d’un plan. La flotte va attaquer la forge immédiatement et de toutes ses forces, afin de créer une diversion permettant à l’Ebon Hawk d’infiltrer la machine, puis de vaincre Malak et sa nouvelle apprentie.

Le joueur manoeuvre l’Ebon Hawk pour aborder la forge stellaire. Il affronte et triomphe d’une armée de serviteurs Sith, jusqu’à atteindre Bastila. Malak a ordonné à celle-ci d’arrêter le joueur, sans penser réellement que celle-ci ne puisse l’emporter, mais plutôt pour lui offrir le temps nécessaire à l’activation de son système absorbant l’énergie des padawan déchus.

Bastila affronte le joueur au cours d’un combat sans merci, la nature maléfique de la forge offrant un avantage naturel aux utilisateurs du côté obscur. Elle est toutefois vaincue, et demande à celui-ci de l’achever.

Le joueur peut à ce moment tenter de la ramener dans la lumière par différentes options de dialogue. Toutes sont vouées à l’échec sauf une : lui déclarer son amour, et faire appel à ses sentiments pour la ramener vers la bonté. Bastila choisit alors d’utiliser la méditation de combat pour aider la République, de peur, si elle accompagnait le joueur pour l’inéluctable affrontement final, que la présence maléfique de Malak n’ait le dessus sur sa volonté.

Une remarque toutefois, cette option de dialogue n’est disponible que si le joueur a développé la romance avec Bastila jusqu’à l’embrasser à bord de l’Ebon Hawk. Dans le cas contraire, il est donc contraint de la tuer dans la forge stellaire.

L’affrontement final est le même que pour l’autre fin : la croisée inévitable des destins entre le joueur/Revan et son ancien apprenti. Dans ce cas toutefois, la mort de Malak puis la fuite de l’Ebon Hawk et de son équipage s’accompagne de la destruction de la forge stellaire, et de la victoire finale de la République sur l’Empire Sith.

Ainsi, le joueur a racheté les crimes de sa vie antérieure. Il fut Seigneur Noir des Sith, et est aujourd’hui le sauveur de la galaxie.

« Nous, les Jedi, avons désormais un autre récit à intégrer à la grande histoire de notre ordre éternel – la rédemption de Revan, le chevalier prodigue. »

Analyse

Le Plot twist

Le coup de théâtre proposé par KOTOR concernant l’identité secrète joueur est brillant, et je le qualifierai même de meilleur plot twist tout œuvres et support confondus (à ma connaissance). Un plot twist réussi nécessite effectivement de l’inattendu ; mais pour autant, la révélation ne doit pas être incongrue. Prenons le film « Sixième Sens » de Shyamalan : des indices étaient présents durant tout le déroulé, ce qui rend la révélation finale cohérente et satisfaisante. De tels éléments sont présents dans KOTOR : Bastila qui aurait insisté pour que le joueur, pourtant fraichement recruté, soit présent aux côtés de son équipage d’élite sur l’Endar Spire ; Le joueur qui maîtrise de nombreux dialectes alors qu’il n’a jamais parcouru la galaxie ; Les dialogues sibyllins à double sens du Conseil Jedi : « le côté obscur est une voie bien trop familière ». Certains indices, tels que les souvenirs de la vie antérieure de Revan, sont dissimulés sous la forme de mensonges portés au joueur par les personnages : il n’y a nulle « mission de la force » ou « visions » - le Conseil Jedi abuse de la méconnaissance par le joueur des limites de la force, adin d’extrapoler la nature mystique de celle-ci.

Un excellent plot twist, tel que celui de Sixième sens, offre l’opportunité d’un nouveau visionnage éclairé de l’œuvre. KOTOR suit cette logique mais la dépasse. En effet, la révélation n’intervient pas à la fin de l’histoire, mais aux deux tiers de celle-ci : le passé n’est pas le seul impacté par le coup de théâtre. Les enjeux, les relations interpersonnelles et la portée philosophique de l’intrigue en sont durablement transformés, approfondis. Les réflexions derrière l’histoire principale découlent de cette révélation, comme nous le verrons plus loin.

La révélation remet en question la vision globale du récit par le joueur, du point de vue du schéma quinaire. L’élément perturbateur n’est pas, comme nous pouvons l’envisager jusqu’alors, l’attaque de l’Endar Spire. Il s’agit plutôt de la capture de Revan, qui est antérieure au commencement du jeu. L’histoire débute donc milieu des péripéties, afin de mieux perdre et surprendre le joueur.

Une raison supplémentaire de placer le plot twist de KOTOR au-dessus des autres excellents coups de théâtres est qu’il utilise et détourne des mécaniques inhérentes à son support, le RPG. Ces derniers sont constitués de deux grands types. Il y a d’une part les jeux qui invitent le joueur à créer un personnage de toute pièce, potentiellement à leur image (e.g. la série des Elder Scrolls). D’autre part, il y a les titres qui proposent au joueur d’incarner un personnage bien défini et d’importance dans l’univers ou la timeline (e.g. Geralt de Riiv dans la série The Witcher). KOTOR surprend et bouscule les codes en introduisant son intrigue comme celles des RPG de la première catégorie, alors qu’en réalité il appartient à ceux de la seconde. Le Revan du passé est un personnage établi dans le lore, mais celui ayant été reprogrammé est créé à l’image du joueur – ce qui aboutit à un système hybride.

Par ailleurs, tout RPG commence par le cliché – indispensable au gameplay – du « héros amnésique ». Le joueur ne connaît rien du monde et de la temporalité dans lequel le jeu l’immerge, et commence donc par se renseigner en posant diverses questions aux personnes environnantes. Pourtant, un personnage ayant vécu pendant plusieurs dizaines d’années dans cet univers devrait être au courant des actualités politiques et sociales, de la géographie, … Il s’agit d’une incohérence universelle au genre et à laquelle les joueurs octroient la suspension du sentiment d’incrédulité. Dans KOTOR, le Revan amnésique devient un élément scénaristique, auquel tout nouveau joueur passe obligatoirement à côté en début de partie. Il en va de même pour la capacité du joueur à s’exprimer en différents dialectes : ce qui semblait être une facilité scénaristique au service du gameplay devient a posteriori cohérent au regard de la diégèse.  

Inattendu, cohérent, ouvrant l’intrigue et l’espace philosophique de l’œuvre, exploitant les mécaniques propres au jeu-vidéo, … le plot twist de KOTOR s’impose comme la masterclass du genre.

Les choix

Comme mentionné en début d’article, je n’aime pas particulièrement STAR WARS. En particulier, je déprécie le traitement effectué, tout au long des œuvres canoniques, de la dualité entre le bien et le mal. Les deux entités y sont dépeintes de manière totalement distincte, par un manichéisme puissant, et le transfert des hommes du bien vers le mal est toujours total. Au contraire, étudier les nuances de gris dans le cœur des hommes m’apparaît beaucoup plus crédible et intéressant. En comparant avec d’autres univers de fantasy, des personnages tels que Severus Rogue, Sigismund Dijkstra, Katniss Everdeen, Saroumane, … sont autant d’antihéros et d’antivillains dont l’hétérogénéité morale ouvre très justement la réflexion sur la nature du bien, tout comme celle du mal.

KOTOR adopte le postulat de départ de la licence dont il est dérivé : une dualité parfaite entre la lumière et l’obscurité. Celle-ci nous est décrite telle qu’elle en début de partie, par le conseil Jedi puis Bastila Shan. Les choix du joueur durant les différents dialogues traduisent également et clairement ce dualisme. Toutefois, plus la trame avance, plus le jeu brouille progressivement la limite claire entre la lumière et l’obscurité. De nouveaux personnages tels que Jolee Bindo, Juhani, le fils de Carth ou la mère de Bastila sont bien plus gris, et certains personnages antérieurement introduits tels que Bastila et Zaalbar gagnent en imperfection, et donc en profondeur. Les options de dialogue auxquelles le joueur est amené à se confronter deviennent également moralement plus floues. Pour citer mon exemple personnel, lors de mon passage sur Manaan, le choix que j’ai effectué à la fin de l’intrigue locale a in fine condamné toute vie sur la planète, bien qu’il m’eût paru de prime abord être la décision morale. Le joueur est amené à assumer en jeu les conséquences de ses actes.

Le plot twist approfondit encore la donne. Pour peu qu’il ait joué « sérieusement », en optant pour les choix de dialogue qu’il aurait normalement posé dans une situation réelle, il traduit aussi un message dont je qualifierais la portée de philosophique. Le joueur cache au plus profond de lui un passé, et donc une nature profonde malfaisante. Il y a, tout autant civilisés et bons que nous soyons, un côté obscur en chacun de nous, et il nous incombe de le dompter.  

D’ailleurs, lorsque le joueur la retrouve au sommet du temple, Bastila tient ces propos glaçants : « Tu peux nier ce que tu es, Revan, mais tu ne fais que te tromper toi-même. Je connais la vérité. J’ai vu les ténèbres dans ton âme. [+…] mais dans nos visions partagées des fragments de coordonnées j’ai aussi ressenti la prétendue souillure en toi. J’ai d’abord résisté, mais j’étreins maintenant le pouvoir du côté obscur – ton côté obscur. »

La fracture entre le côté lumineux et le côté obscur n’est plus, à ce stade. D’ailleurs, là où d’ordinaire le joueur « sérieux » n’a de motif pour rejoindre le côté obscur que de « jouer au méchant », il obtient dans ce jeu une raison tout à fait sensée de rejoindre les Sith : les Jedi lui ont menti, et se sont servis de lui comme d’une marionnette durant les deux premiers tiers de l’aventure. Sont-ils réellement meilleurs que les Sith ? Le mensonge est-il ou peut-il être moral ? Toutefois, un choix final vers la lumière gagne également en signification au même moment. Vaincre Malak est l’occasion pour le joueur de racheter ses crimes du passé.

Chacune des deux fins possibles repose sur un courant philosophique. La fin du côté obscur relève de l’« éternel retour » Nietzschéen et de l’inexistence Spinozien du libre arbitre. Tout a été mis en œuvre afin d’écarter Revan de sa destinée qui était d’être le Seigneur Noir de la galaxie. Pourtant, les évènements se répètent, cycliquement, et Revan aboutit finalement à la place qui lui était écrite dès le départ. Dans son dernier souffle, Malak tient ainsi ses propos : « J’ai tenté d’usurper ton règne, de te voler le titre de maître des Sith. Mais désormais je comprends… Cette destinée est tienne Revan, non mienne. Et maintenant, alors que les ténèbres m’emportent, je ne suis rien. » 

D’un autre côté, la fin du bord de la lumière repose sur une rédemption ; et est donc le prolongement de la tradition platonicienne de l’existence du libre arbitre, rendant le jugement des hommes possible. Dans ce cas, la lumière peut-elle vraiment accueillir Revan eut égard de ses torts passés ? La justice est-elle soumise à prescription ? Les péchés s’échangent-ils contre des actes vertueux ? L’intrigue mène à conclure que ces derniers sont à accomplir pour eux-mêmes. Revan n’est pas expié de part ses bonnes actions, mais plutôt parce qu’il les a accomplis sans dessein personnel ou arrièrepensée… Pendant le combat final, lorsque le joueur fait le choix de revendiquer sa foi en la possibilité de rédemption, Malak rétorque : « Evidemment. Que te reste-t ’il d’autre ? [+…] Sauveur, conquérant, héros, méchant ,… Tu es toutes ces choses à la fois, Revan… et pourtant tu n’es rien. En fin de compte, tu n’appartiens ni à la lumière ni à l’obscurité. Tu resteras seul à jamais. »

Le joueur choisissant la fin de sa partie, il est ainsi amené à son insu à trancher, de lui-même, entre ces deux écoles philosophiques. De manière générale, le jeu construit des systèmes de valeurs aux côtés du joueur, par l’intermédiaire des choix posés par celui-ci.

Les personnages

Chacun des compagnons amène son lot de réflexions, d’une part au travers de son passé, et d’autre part grâce à l’apprentissage du personnage aux côtés du joueur.  

Sans répéter ce qui est déjà explicité dans la partie « résumé » de cet article, les intrigues de différents compagnons explorent les thématiques du pardon et de la vengeance. Dans quelles circonstances doit-on accorder le pardon ? C’est au joueur de décider si Bastila doit pardonner sa mère, si Carth junior doit pardonner son père, si Mission doit pardonner Griff, si Carth doit abandonner son désir de vengeance envers Saul ; ou si encore Juhani doit oublier Xor… Comme souvent, le message du jeu n’est pas fixe et s’entremêle à la volonté inconsciente du joueur.

Canderous amène à questionner les fondements de la morale. En effet, suivant la culture mandalorienne, il tue pour l’honneur, sans accorder la moindre valeur à la vie humaine. Les autres compagnons soulignent régulièrement la barbarie de cette pensée. Cependant, les mandaloriens ne sont pas dénués de système de valeurs. Par exemple, la lâcheté ou la reddition sont considérés comme infâmants dans cette société qui rappelle, à bien des égards, le Japon du Bushido. Dès lors, la morale ne serait pas innée et plutôt un fruit civilisationnel, comme l’écrivait Nietzsche.

Carth apporte une réflexion sur l’octroi de la confiance, auquel il se refuse du fait de son passé traumatique. C’est à nouveau le joueur, de part ses choix, qui validera ou non les arrière-pensées de son compagnon. S’il choisit de redevenir le maître des Sith, alors on ne peut donner tort à Carth.

Le sort de Bastila souligne l’importance de l’humilité, peut-être au-dessus de toutes ses autres qualités. L’entêtement, la trop grande certitude en la justesse de ses choix et l’excès de confiance en ses pouvoirs sont autant de failles que Malak a employé afin de briser sa droiture. Cet épisode rappelle d’ailleurs celui de Revan, dont l’imprudence et la désobéissance envers le conseil des sages a amené celui-ci dans le chemin qui mena à sa déchéance. L’humilité et la remise en question constante sont les seuls outils dont nous disposons afin nous maintenir « dans la lumière ».

Evidemment, la romance naissante entre le joueur et Bastila et l’élément le plus digne d’intérêt lié aux compagnons du joueur. A mon sens, l’intrigue secondaire de KOTOR concerne l’évolution des relations entre le joueur et la Jedi, tout deux liés par une forme de connexion mentale après que Bastila ait utilisé la force pour le maintenir en vie.

Bastila, qui connaissait la réelle identité du joueur depuis le commencement, peut-elle sincèrement tomber amoureuse d’une personnalité factice, programmée sur les cendres d’une âme brisée ? Et par ailleurs, que penser de ces mêmes sentiments, au regard du mal absolu tapis dans le passé, et peutêtre les tréfonds du personnage/joueur ? Comme je l’ai mentionné précédemment, le jeu, par la voix de Bastila, propose même que l’amour de cette dernière soit en fait la cause de sa chute dans les ténèbres.

Jolee est le troisième rouage de cette intrigue. A bien des égards, son propre passé se reflète dans l’histoire vécue par le joueur. Cependant, toutes les souffrances endurées par le personnage dérivent de son incapacité à choisir : rejoindre le côté obscur aux côtés de sa femme, ou mettre fin à la vie de celle qui n’est plus que l’ombre d’elle-même. Le joueur est donc l’équivalent d’un Jolee ayant réussi : il effectue ce choix décisif entre les ténèbres, en rejoignant Bastila, et la lumière, en l’éliminant elle et son maître.

Cette lecture de l’histoire est toutefois insuffisante, puisqu’elle omet la possibilité pour le joueur de ramener Bastila vers la lumière par l’expression son amour, faisant écho aux propos de Jolee sur l’amour salvateur. L’amour incite l’homme à commettre des choses terribles, comme tomber du côté obscur ; mais, canalisé, il est peut-être ce qui lui donne la volonté d’exprimer ce qu’il y a de meilleur en lui. Après que le joueur ait avoué ses sentiments à Bastila, sur la forge stellaire, celle-ci dit : « Malak savait ce que je ressentais. Toute dernière étincelle de lumière en moi aurait été anéantie au moment où je t’aurais tué. »

KOTOR réussit un double tour de force : il crée des compagnons profonds et humains, pour lesquels le joueur développe un réel attachement affectif. Mais, au-delà de cela, les personnages sont autant d’incarnations de réflexions et de pensées, qui au travers de l’affect et des choix du joueur, poussent celui-ci à la réflexion et à sa propre construction.

Conclusion

KOTOR est-il une aventure épique à travers l’espace ?

KOTOR est-il une nouvelle lecture du bien et du mal ?

KOTOR est-il une passionnante histoire d’amour et d’amitié ?

KOTOR est-il une œuvre philosophique sur le libre arbitre et la destinée ?

Tout comme Revan, KOTOR est un peu tout à la fois. Une histoire magistrale à vivre et expérimenter – qui m’a marqué profondément et, probablement, à vie.

Mathias Quertemont 02/12/2023 16:30

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